jeudi 15 mars 2012

Teatro Colon





Teatro Colon


Lors d’un voyage, une des facettes les plus agréables est le risque: le risque de découvrir telle ville ou telle rue sans planifier, le risque d’être déçu ou agréablement surpris, le risque de tenter de s’adresser à un inconnu dans un castellano (l’espagnol sud-américain) approximatif. En général, depuis un mois, nos plus doux souvenirs sont les bonnes surprises qui nous sont tombées dessus quand on s’est aventurés les yeux fermés dans un endroit, une rencontre, une activité. Par exemple, ici à San Telmo, ce vieux quartier de Buenos Aires où nous sommes depuis samedi, nous sommes tombés sur un appartement génial (merci à Marie-Karine de Violeta de Yapa et à Vincent pour la puce à l’oreille) qui se trouve à deux coins de rue d’un petit resto familial végétarien, où ils font leur propre pain intégral et où chaque midi nous pouvons manger un choix de trois menus tous aussi fantastiques les uns que les autres (courges butternut nappés de sauce aux épinards, burgers de riz brun, aubergines poêlées, etc etc) pour vraiment pas cher: nous aurions voulu trouver un endroit comme ça que nous n’y serions jamais arrivés.


Parfois, quand on accepte de s’éloigner des grands classiques, le concert peut aussi être une expérience risquée. C’est dans cet esprit d’aventure que je me suis dirigé hier au Teatro Colon, salle mythique bâtie en 1860 et reconstruite au début du siècle, qui possède la 3e meilleure acoustique au monde selon Leo Beranek (http://mlacoustics.com/PDF/Shoebox.pdf pour un petit graphique de la configuration). 2700 places assises plus 1000 places debout. Architecture extérieure qui en ferait immédiatement un des plus beaux édifices de Montréal (pour l’architecture, je peux vous dire qu’il y a des colonnes et des fresques sculptées, mais officiellement le tout est de style «mixte»: désolé.)


J’étais excité de seulement entrer dans un tel établissement.


Hier c’était le premier spectacle d’opéra de la saison (rappelez-vous qu’ici c’est la rentrée scolaire et culturelle et le début de l’automne): Osvaldo Golijov, compositeur très très en vue depuis quelques années qui est d’origine Argentine, et son oratorio La Passion selon St Marc écrit en 2000 pour le 250e anniversaire de la mort de Bach.


Connaissant seulement une pièce de Golijov: Tenebrae, pour quatuor à cordes, une oeuvres profonde et minimaliste qui crée une atmosphère enveloppante et jouée magnifiquement par le quatuor St-Germain (disponible sur disque), je m’attendais un peu à ce style, qui concorde assez bien avec les parties plus intimes de l’évangile.


Surprise!!!!


La pièce est bâtie sur la musique Salsa-cubaine, avec un grand choeur qui finalement est le soliste principal et deux chanteuses: une soprano classique et une chanteuse jazz, cette dernière à la voix chaude et grave, et parfois amplifiée, qui était superbe et donnait les frissons. L’ «orchestre» consiste en un ensemble de percussions de type africains, quelques cordes, un accordéon, une guitare, un ensemble piano-basse de jazz, etc. Vous voyez le décor.


L’effet final est renversant. On ne peut s’empêcher de comparer la structure avec Bach, et donc de remarquer les omissions et les contournements. Golijov fait bien parler Jesus, mais par plusieurs voix selon du texte. Sur le mont des Oliviers ou au moment de l’eucharistie, c’est une femme qui chante le texte, intime et doux. Par contre, quand il s’adresse à ses disciples d’une voix forte, c’est un homme qui chante le texte. Mais en général, pas d’évangéliste précis, mais plutôt une paraphrase de l’action, souvent par le choeur, choeur qui reprend aussi bien sûr les interventions de la foule, des prêtres, etc.


Beaucoup d’interludes musicaux et de transitions aussi, tous plus cubains les uns que les autres. Comme le choeur, les solistes et l’orchestre sont en tuniques et sandales, le tout est étonnamment crédible, dans un sens plus que la musique baroque: car Jesus a bel et bien vécu dans un pays chaud sur le bord de l’eau, et non en Allemagne du nord.


Une bien belle soirée, émouvante et intéressante. Un bel exemple de belle surprise.


À bientôt!


Mathieu


1 commentaire:

  1. Tout ceci est proprement passionnant. J'en veux plus ! (Wikipedia nous apprend par ailleurs que ce Golijov est un retardataire notoire qui n'arrive pas à remettre ses pièces à temps aux orchestres).

    Toujours un plaisir de vous lire !

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